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METHANISATION

Méthanisation et biogaz

Le Biogaz est-il écologique, d’intérêt pour l’agriculture et les agriculteurs ?

Le biogaz est issu d’un processus biologique par lequel des microorganismes appartenant au domaine des Archaea transforment les matières organiques « simples »[1] en méthane, en l’absence d’oxygène. Cette opération se déroule naturellement dans les sédiments, les marais, les rizières, les océans, les décharges, le fumier, ainsi que dans le tube digestif de certains animaux (herbivores en particulier) et insectes (termites, cafards…). On a pu « domestiquer » ce processus naturel au sein de digesteurs anaérobies alimentés de matières organiques dans le but de produire du méthane à des fins énergétiques.

Au 1er janvier 2017, 514 unités de méthanisation étaient opérationnelles en France produisant 880 GWh d’électricité par an, 1 400 GWh de chaleur ainsi que 215 GWh de biométhane généré sur 26 sites pour être injecté dans le réseau de gaz naturel[2]. Ces installations peuvent prendre des formes multiples, allant d’unités de taille réduite à la ferme, jusqu’à des installations collectives de grande taille au niveau d’un territoire. La loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte fixe les objectifs de 10% de biogaz dans les réseaux d’ici 2030 et une production de 120 TWh en 2050, dont 90% serait d’origine agricole. Dans cette loi, il est indiqué que « la méthanisation devient une activité agricole à part entière qui doit être soutenue par des aides financières et des subventions publiques ». La méthanisation est considérée à la fois comme un outil de production d’énergie dite « verte », comme une source d’engrais pour les sols agricoles, et comme un complément de revenus financiers pour les agriculteurs. C’est sur la base de ces données que nous allons mener une réflexion sur l’intérêt de la méthanisation.

  • La valeur énergétique du méthane issu du biogaz est-elle différente de celle provenant du méthane fossile ? L’énergie libérée au cours de la combustion du méthane est une constante fixée à 11,05 kWh/m3 qui est indépendante de son origine. De même, la quantité de CO2 provenant de la combustion du méthane est exactement la même entre les deux sources. L’équation chimique CH4 + O2 à   CO2 + 2H2O montre que 1 m3 de méthane génère 1,96 kg de CO2, indépendamment de son origine. Sachant qu’il est urgent de diminuer la concentration de CO2 dans l’atmosphère, le méthane ne doit pas être considéré comme une source d’énergie pour le futur, sauf si le CO2 émis est entièrement restocké !
  • L’avantage écologique, s’il existe, est expliqué par le fait que le CO2 émis à partir du biogaz serait totalement fixé par les végétaux qui sont utilisés pour le produire. Ainsi, le bilan carbone (C) du process serait nul. Voyons ce qu’il en est. A l’opposé du méthane fossile qui existe à l’état naturel et qu’il suffit d’extraire du sous-sol pour le distribuer dans les réseaux domestiques, le biogaz doit être synthétisé par des procédés biotechnologiques, à partir de substrats végétaux introduits dans les méthaniseurs. L’allégation d’énergie « verte » attribuée au biogaz suppose que la quantité de CO2 ôtée de l’atmosphère par photosynthèse compenserait le CO2 produit à partir de sa combustion, ce que nous proposons d’examiner ci-après.

La première étape du processus technologique consiste à alimenter les digesteurs avec des composés riches en carbone et en énergie. Dans le cas où les substrats proviennent de cultures dédiées, il convient de comptabiliser l’ensemble des dépenses énergétiques nécessaires à leur production (mise en place des semis ; entretien, récolte, stockage et transport des cultures vers les méthaniseurs). Il faut y ajouter les dépenses d’énergie nécessaires aux prétraitements des intrants végétaux (broyage, macération, hydrolyse …).

L’étape suivante dite « de fermentation humide » exige un milieu homogène maintenu à la température de 38°C en fermentations mésophiles conventionnelles, voire de 55°C en fermentations thermophiles utilisées pour l’hygiénisation des biodéchets. Le chauffage et le brassage continus des fermenteurs, pendant une 20aine de jours pour un cycle de fermentation, sont des étapes qui nécessitent des apports conséquents d’énergie.

Le biogaz produit doit être transféré vers son unité de stockage, puis épuré par des techniques plus ou moins complexes (perméation, adsorption, cryogénie, lavage chimique, séparation membranaire…) pour éliminer les substances indésirables (CO2, ammoniac, composés sulfurés, eau) afin de l’injecter dans le réseau ou l’utiliser sur place en cogénération (production de chaleur et d’électricité). Ces différentes phases ont des coûts énergétiques dont certains peuvent être importants.

Il est évident que le cycle de vie carboné d’un méthaniseur ne correspond pas à un simple échange, à quantité égale, de C-atmosphérique converti en C-biogaz. En effet, la production des intrants qu’il faut acheminer vers le digesteur, puis le fonctionnement du digesteur et la transformation du biogaz en gaz-énergie, sont des étapes à forte consommation d’énergie qui induisent un rendement carboné très négatif.  

  • L’idée selon laquelle on pourrait utiliser des déchets ou des produits agricoles nobles comme substrat est discutable.

Les lisiers d’animaux ont une faible teneur en C et en énergie à l’issue de leur passage dans le tube digestif des animaux, ce qui réduit leur intérêt comme seul substrat de fermentation. Des compléments doivent leur être ajoutés pour produire le biogaz.  L’usage des lisiers comme fertilisants des terres agricoles est plus rationnel si l’on prend soin de respecter les règles d’épandage pour éviter les nuisances environnementales.

Les déchets agricoles cellulosiques et ligneux (paille, cannes ou rafles de maïs grain) sont peu dégradables et très peu fermentescibles, d’où l’absence d’attrait pour la production de biogaz. Leur valorisation doit passer par une étape préalable d’hydrolyse qui diminue encore l’intérêt énergétique et carboné de la méthanisation.

L’emploi de sources alimentaires riches en énergie (céréales, betteraves sucrières), est fortement encouragé par les pouvoirs publics en France. En Allemagne où ce système est très développé, Nils Klawitter (Der Spiegel du 27/08/2012) indique que les unités de taille moyenne consomment environ 200 ha de maïs. Cette pratique a de nombreuses conséquences négatives : (i)-elle diminue la disponibilité de surfaces cultivées pour l’alimentation humaine et animale ; (ii)-cette nouvelle demande augmente le coût du foncier agricole qui évince les agriculteurs au profit des industriels de la méthanisation ; l’idée selon laquelle la méthanisation de produits agricoles représenterait une source de revenus complémentaires pour les agriculteurs est donc peu recevable ; (iv)-la production intensive des aliments destinés aux méthaniseurs sera privilégiée aux dépens de l’environnement. Par ailleurs, elle « ouvre la porte » à des investisseurs non agricoles qui voudront manager l’ensemble du process, depuis la production des substrats jusqu’à l’utilisation finale du biogaz.

-Les digesteurs produisant le biogaz génèrent également des molécules volatiles telles que le sulfure d’hydrogène (H2S) et l’ammoniaque (NH3) qui sont malodorantes et toxiques. Les méthaniseurs sont contraints de respecter un cadre réglementaire et juridique pour leur installation (distance des habitations, contrôles de leur environnement). Malgré tout, ils génèrent des nuisances ainsi que des risques sanitaires et environnementaux pour les riverains. On peut donc s’attendre à des actions judiciaires à l’encontre des installations. On voit déjà des cabinets d’avocats se spécialiser dans ce domaine !

-Les digestats sont utilisés comme fertilisants des sols agricoles. Outre le fait que leur teneur en C est faible à l’issue des fermentations et qu’une partie importante de l’azote est perdue sous forme d’ammoniac, ce qui réduit leur intérêt comme fertilisants, les digestats peuvent contenir de nombreux contaminants présentant un danger pour l’environnement. Ainsi, l’Irstea a montré que les digestats pouvaient porter de nombreux microorganismes pathogènes qui, selon Michel Bakalowicz, hydrologue et chercheur au CNRS, peuvent « s’infiltrer directement dans les nappes phréatiques où nous puisons notre eau potable »[3]. Les substrats utilisés peuvent également apporter des métaux lourds ou des polluants organiques[4] (hydrocarbures aliphatiques, hydrocarbures aromatiques polycycliques, pesticides, polychlorobiphényles et dioxines) qui se retrouvent alors dans les digestats puis dans les sols où ils seront épandus.

Conclusion   Les méthaniseurs bénéficient d’une image de modernité, de technologie de pointe qui plait beaucoup aux élus de communes rurales et aux agriculteurs qui ont l’impression de jouer un rôle moteur dans la fourniture d’une énergie « verte » issue de la biomasse. Face au lobbying des industriels qui veulent vendre leur matériel et à la volonté des pouvoirs publics pour développer la méthanisation agricole, la vigilance s’impose compte tenu des impacts négatifs forts sur le bilan carboné (et le bilan énergétique), sur l’environnement, sur la production alimentaire, sur les agriculteurs et sur le devenir de l’agriculture. Le slogan « produire de l’énergie plutôt que nourrir » pourrait en effet être le crédo des acteurs non agricoles de la méthanisation.

[1] La matière organique végétale est composée de molécules « complexes » (cellulose, amidon, substances pectiques) qui doivent être dégradées dans le digesteur par des microorganismes hydrolytiques pour donner des molécules « simples » (sucres par exemple) qui seront alors utilisables par les microorganismes fermentaires produisant le méthane. C’est l’ensemble de cet écosystème microbien qui doit être fonctionnel pour que le méthaniseur soit opérationnel.

[2] ADEME, « Faits et chiffres », ADEME & vous : Le mag, février 2017, N°102, p. 12

[3] https://reporterre.net/methanisation-un-digestat-bien-indigeste-pour-les-sols-et-les-eaux

[4] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/79519_qualite_digestat_rf_octobre_2011.

J-P Jouany, association GREFFE Adhérente de FNE 63

 

Publié par FNE Puy-de-Dôme

Le Vendredi 24 avril 2020

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