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ELEVAGE bilan CO²
Les ruminants possèdent trois compartiments digestifs pré-gastriques parmi lesquels le rumen est le plus volumineux. Les conditions physico-chimiques du biotope ruminal sont particulièrement favorables au développement d’une biocénose anaérobie qui dégrade et fermente près de 50 % de la biomasse ingérée par les ruminants. Méthane, CO2 acides gras volatils sont les principaux produits de la fermentation des aliments dans le rumen. La formation de méthane (CH4) est la voie majeure de l’élimination de l’hydrogène produit lors de la fermentation anaérobie. Outre le fait que le méthane entérique représente une perte d’énergie pour l’animal pouvant aller jusqu’à 10% de l’énergie ingérée, le méthane entérique agit comme un gaz à effet de serre (GES) et compte pour environ 3 % des GES impliqués dans le changement global. Cet argument est fréquemment mis en avant pour justifier la recommandation de réduire notre consommation de viande, plus particulièrement de viande rouge qui est produite par les herbivores et principalement par les ruminants.
Le gaz méthane a un potentiel de réchauffement global[1] 25 fois supérieur à celui du CO2. Aussi, de nombreuses études ont été entreprises pour prévoir les rejets de CH4 par les ruminants (Vermorel et al 2008) et les mesurer avec précision (Martin 2012). Des moyens ont été mis au point pour réduire la méthanogenèse ruminale (Martin et al 2006, 2008), mais une diminution de plus de 30 % entraine une baisse de la digestion ruminale des ruminants.
Afin de préciser la réelle contribution des ruminants au réchauffement de la planète, nous proposons d’établir les bilans carbonés de vaches laitières conduites selon deux modes d’élevage différents : (i)-un mode à l’herbe ; (ii)-un mode intensif en hors-sol. Contrairement aux études réalisées habituellement, nous ne limiterons pas le calcul des bilans de carbone (C) au seul animal mais nous l’étendrons à l’ensemble des sources et des puits de C de l’élevage (production, transports, stockage et distribution des aliments ; construction et entretien des bâtiments…).
En conclusion: ce système reste vertueux jusqu’à la charge de 2 UGB[2] par ha selon les données de Herfurth (2015) grâce à la captation de C par les sols prairiaux (979 kg C annuel émis par animal vs 1000 à 2200 kg C captés par ha dans les sols). Par ailleurs, l’auteur a montré que l’intensification du pâturage tend à augmenter le niveau de séquestration du C par le sol prairial.
II- Mesure des bilans de carbone de vaches laitières élevées dans un système intensif hors-sol (cas des fermes dites « fermes à 1 000 vaches »)
Nous proposons de réfléchir au bilan C de vaches laitières recevant une ration quotidienne conventionnelle en système intensif qui correspond à une production journalière individuelle de 32 kg de lait brut ayant un taux butyreux de 40 g/kg et un taux protéique de 33 g/kg : ensilage de maïs (16 kg) + orge grain (2 kg) + tourteau de soja (5,3 kg) + paille (0,5 kg) + CMV[3] (0,35 kg), soit un total de 23,5 kg de matière sèche.
Le mode d’élevage hors-sol signifie qu’aucun des aliments n’est produit sur la ferme. Le maïs est cultivé la plupart du temps dans des exploitations proches de la ferme d’élevage, et l’ensilage est réalisé sur le site de la ferme d’élevage. L‘orge est produit parfois dans des régions éloignées de la ferme d’élevage. Il est distribué sous forme de pellets ou de grains aplatis achetés à des fabricants d’aliments. Il faut alors ajouter les pertes carbonées des procédés industriels mis en jeu ainsi que celles des transports. Le tourteau de soja est fourni par les fabricants d’aliments du bétail à partir de graines de soja importés d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil) ou des Etats-Unis. Le coût en C du transport des graines par voie maritime jusqu’aux ports français, leur stockage, puis leur acheminement jusqu’aux usines de transformation et, in fine, le transport du tourteau jusqu’à la ferme d’élevage, est difficile à évaluer mais il doit être considéré comme élevé, voire très élevé ! A partir de données bibliographiques éparses, nous avons pu estimer l’empreinte C (kg C/an/vache) de la ration des animaux : ensilage de maïs (338) + orge (79) + paille (5) + tourteau soja (295) + CMV (17), soit un total de 734 kg C/an/vache. La fixation du CO2 atmosphérique par les plantes cultivées a été incluse dans ce bilan. En revanche, les émissions de N2O, puissant gaz à effet de serre (PRG = 300), dues au métabolisme dans le sol des engrais azotés apportés aux cultures, n’ont pas été évaluées bien qu’elles aient un effet délétère fort sur l’environnement.
Aux pertes carbonées dues à l’élaboration des aliments importés sur la ferme, il faut ajouter les dépenses de leur stockage et de leur distribution quotidienne (80 kg C/an/vache), du stockage et de l’utilisation des déjections animales et des effluents de l’élevage (200 kg C/an/vache), de la construction et du fonctionnement des bâtiments d’élevage (400 kg C/an/vache).
Les pertes individuelles de C gazeux par les animaux (CH4 et CO2) sont considérées comme voisines de celles évaluées au pâturage (979 kg C/an/vache). En effet, la diminution des pertes métaboliques due à un déplacement moindre des animaux à l’attache plutôt qu’au pâturage, est compensée par une augmentation de la fermentescibilité de la ration hors-sol et du métabolisme des produits de la digestion apportés en plus grande quantité.
En outre, l’élevage intensif est source de nombreuses pathologies animales (acidose ruminale, boiteries, mammites, hémolactations, rétention placentaire, anœstrus, kystes ovariens, déplacement de caillette, métrite, fièvre vitulaire…). L’intervention fréquente du vétérinaire a un coût carboné élevé incluant les déplacements du professionnel, la fabrication et le transport des médicaments et l’impact négatif des drogues sur l’environnement. Ce coût (appelé X) n’a pas été évalué en raison des nombreux facteurs qu’il intègre.
Sur la base de notre étude, le bilan C (kg C/an/vache) d’une vache conduite en élevage intensif s’établit ainsi : 814 (alimentation) + 200 (déjections animales et effluents divers) + 400 (bâtiments et fonctionnement) + 979 (pertes gazeuses animales) [+ X (vétérinaire)] = 2.393 kg C/an /vache, correspondant à 8.774 kg d’équivalent-CO2 ou 4.467 m3 d’équivalent-CO2.
Conclusion: Il est impératif de préciser le mode de production des mammifères herbivores (ruminants, équidés, camélidés, cervidés…) pour caractériser leur impact sur les flux de C et sur l’environnement. Le message fréquemment diffusé dans les médias consistant à affirmer que consommer de la viande rouge nuit à l’environnement doit être clarifié. Si l’élevage intensif de vaches laitières a bien un impact négatif fort sur l’environnement, l’élevage de vaches à l’herbe est au contraire vertueux pour notre planète. (Juin 2020)
[1] PRG = Le potentiel de réchauffement global des différents gaz est calculé par rapport à celui du dioxyde de carbone (PRG du CO2 = 1), à poids égal et pour une durée de séjour dans l’atmosphère de 100 ans.
[2] L’UGB (Unité Gros Bovin) est l’unité de référence permettant de calculer les besoins nutritionnels ou alimentaires de chaque type d’animal d’élevage. Par exemple, une vache laitière correspond à 1 UGB. Ce terme est utilisé également pour définir le chargement d’une parcelle pâturée (1 UGB/ha = 1 vache par hectare)
[3] CMV = Complément minéral et vitaminique
J-P Jouany, association GREFFE adhérante à FNE 63
Publié par FNE Puy-de-Dôme
Le Samedi 15 août 2020
https://www.fne-aura.org/actualites/puy-de-dome/elevage-bilan-co%c2%b2/
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