— Actualités —

A la rencontre des créatures de minuit

Comme l’a si bien montré Pierre Soulages qui nous a quitté.es l'an dernier, quoi de plus beau que la lumière émanant du noir ? Le noir total n’existe pas mais il est bien difficile de nous contenter des lueurs de la nuit. Le paradoxe des amoureux.ses de la nuit est que nous y introduisons la lumière pour pouvoir admirer (et étudier) la faune nocturne avec nos yeux de mammifères non nyctalopes…

Pour découvrir les Hétérocères nocturnes ou papillons « de nuit »… nocturnes, nous utilisons un système de piégeage lumineux. La source lumineuse, composée de différentes longueurs d’ondes et diffusée par la toile blanche, attire les Hétérocères des environs qui, une fois sur la toile, se trouvent incapables de s’en éloigner. Ces animaux nocturnes utilisent vraisemblablement les lueurs des astres pour se repérer mais une forte source lumineuse leur fait perdre tout repère. C’est le même mécanisme qui fait de nos éclairages nocturnes artificiels une réelle pollution lumineuse pour de nombreuses espèces nocturnes…

Dispositif de piégeage lumineux : une toile blanche éclairée par une LepiLed (Photo E Müller)

Une fois le dispositif installé, il n’y a plus qu’à attendre que la nuit tombe, en écoutant le concert des animaux crépusculaires et en admirant le ballet des chauvesouris. En espérant, également, que la Lune soit quelque peu cachée par des nuages sans que ceux-ci apportent une pluie ni que les températures descendent trop, ce qui mettrait fin à notre inventaire nocturne.

La lumière n’attire pas seulement les papillons nocturnes mais également des Trichoptères (insectes à longues antennes et ailes poilues, avec qui ils peuvent être confondus), des Coléoptères (en particulier les exubérants hannetons), des Hétéroptères (y compris les notonectes que nous sommes plus habitué.e.s à rencontrer sous la surface des mares), des Orthoptères, des Diptères, etc. Ce festin offert attire bien sûr araignées et autres opilions ainsi que certaines chauvesouris.

Parmi ce petit peuple de la nuit, les papillons de nuit ont des ailes couvertes d’écailles, comme tous les Lépidoptères (voir l’article « Des papillons de nuit… en plein jour ») mais ce n’est pas toujours facile à voir sur le terrain…

Si certaines espèces sont immédiatement reconnaissables, la plupart, pour le naturaliste amateur, nécessite un examen minutieux. En effet, certaines espèces différentes se ressemblent comme deux gouttes d’eau alors qu’une même espèce peut présenter une variabilité intraspécifique impressionnante !

Quelques-unes des pages consacrées aux noctuelles dans l’indispensable guide de terrain « Concise Guide to the
Moths of Great Britain and Ireland », qui présente l’immense majorité des espèces que l’on rencontre en France

Les individus piégés sur la toile sont donc placés dans un pot transparent. Avant de retrouver leur liberté, ils devront prendre leur mal en patience et subir, durant quelques minutes à quelques heures, attente, lumière vive des lampes frontales dans les yeux (qu’ils ont fort beaux !), loopings du tube pour être observé sous toutes les coutures et encore séance photo pour compléter la donnée qui sera saisie dans les bases d’observations naturalistes.
Pour les besoins d’un inventaire, les scientifiques sont parfois contraints de sacrifier les individus pour étudier les genitalia après dissection sous loupe binoculaire !

Si la soirée est bonne, la table se remplit rapidement de dizaines de petits pots contenant les individus en attente d’identification. Là, les choses se compliquent car, contrairement à la plupart des taxons, il n’existe pas de clé pour aboutir aux différents genres et ainsi faciliter l’identification. Bien sûr, certaines applications telles qu’ObsIdentify possèdent un algorithme autrement plus efficace que notre cerveau pour comparer les mille et un critères de distinction des espèces. Ces applications visent souvent justes et peuvent trouver le nom d’une espèce là où de longues minutes de recherche par plusieurs naturalistes ont échoué ! Elles peuvent également se tromper lourdement et où serait le plaisir de leur laisser la tâche d’identification ?

Rien de tel, alors, que la transmission de savoirs entre naturalistes et l’expérience, pour, petit à petit, apprendre à nos yeux et notre cerveau à repérer les positions des ailes au repos, la silhouette des sphinx, les motifs à rechercher, les couleurs…
Oui, les couleurs ! Car, les papillons de nuit ne sont pas les sombres créatures répugnantes que beaucoup imaginent. Non seulement leurs yeux et leurs antennes sont souvent magnifiques et les motifs de leur livrée fascinants dès qu’on y pose une loupe, mais certains se parent de rose, de vert, de rouge, de bleu et ainsi de suite. Aussi surprenant que cela puisse paraitre quand elles sont vives, ces couleurs leur servent souvent de camouflage pour leur repos diurne.

Au grand dam des lépidoptérophobes, certaines espèces peuvent être de grande taille (plus de 10 cm d’envergure pour le grand paon de nuit !). A l’inverse, une grande partie des espèces est regroupée sous le terme de « Micro-lépidoptères » en raison de leur (très) petite taille, sans que cela implique une parenté phylogénétique. Même une loupe de botaniste est parfois insuffisante pour bien
observer ces espèces, souvent inférieures à 2 mm. Et pourtant, quelles merveilles se dévoilent au regard quand on prend le temps de les observer !

Si vous souhaitez passer du côté obscur de la force naturaliste, l’Université Populaire du Hérisson vous donne rendez-vous dans quelques semaines, à l’occasion de la journée mondiale de la biodiversité, pour découvrir le monde fascinant des papillons nocturnes (vendredi 26 mai à Pérouges, samedi 27 mai avec la SNAA à Bourg-en-Bresse).

Publié par FNE Ain

Le Lundi 03 avril 2023

https://www.fne-aura.org/actualites/ain/a-la-rencontre-des-creatures-de-minuit/

Lien vers cet article :
https://www.fne-aura.org/actualites/ain/a-la-rencontre-des-creatures-de-minuit/