— Nos avis —
Une première fois rendu franchissable par le Syndicat de Rivières officiellement et après concertation avec les acteurs locaux et services de l’État en 2016 pour son caractère nuisible aux milieux aquatiques, puis reconstruit sans autorisation par les prévenus de la procédure en cours, le seuil de la Tourasse continue à faire couler beaucoup d’encre. Obstacle à la continuité écologique, risque majeur pour l’écosystème, danger en matière de santé publique, l’histoire récente de ce barrage sur la rivière de la Beaume interroge notre gestion collective de l’eau.
La continuité écologique est définie comme la libre circulation des organismes vivants et leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, le bon déroulement du transport naturel des sédiments ainsi que le bon fonctionnement des réservoirs biologiques. La continuité écologique est donc un critère de bonne santé des cours d’eau et une condition indispensable à toute la vie qu’ils contiennent.
Or les infrastructures humaines qui s’installent sur les cours d’eau, à l’image du seuil de la Tourasse, fragmentent et perturbent nos rivières. Plus de 100 000 obstacles sont aujourd’hui recensés sur les cours d’eau de France, soit en moyenne un obstacle tous les 6 km*.
La restauration de la continuité écologique est une condition indispensable à la survie de nos cours d’eau aujourd’hui à bout de souffle, étouffés par les aménagements humains. Il est nécessaire de rétablir cette libre circulation afin de permettre la survie et la préservation de nombreuses espèces dont l’Apron, un poisson caractéristique du Rhône.
Espèce symbolique du Rhône, les ancêtres de l’Apron ont colonisé le fleuve il y a plus de 8 millions d’années. Pour se reproduire et se nourrir correctement, l’Apron a besoin que le système d’écoulement du milieu dans lequel il évolue ne soit pas entravé par un barrage, afin de pouvoir circuler à la fois en amont et en aval du cours d’eau. Dans ces circonstances, le bassin du Rhône largement artificialisé, unique lieu de vie de l’Apron, n’est donc plus en mesure de l’accueillir dans des conditions de vie optimales. L’espèce est pourtant aujourd’hui protégée car en danger critique d’extinction au même titre que le rhinocéros noir et l’éléphant d’Asie. S’émouvoir de la disparition d’animaux exotiques emblématiques est facile, mais la lutte pour la survie du vivant et de sa richesse se joue également sur nos territoires.
De part sa forte sensibilité à toutes modifications de la qualité du cours d’eau, la présence de l’Apron du Rhône est de bon augure pour l’ensemble de la vie d’une rivière. Vivant sur un territoire étendu et riche en biodiversité, en le protégeant, on sauvegarde tout un écosystème. Ainsi on dit que l’Apron fait partie de ces espèces “sentinelles” : sa disparition alerte sur la dégradation de son milieu de vie et de tout l’écosystème qui en dépend. En sachant que la Beaume est labellisée rivière sauvage depuis 2016, car d’ une biodiversité exceptionnelle et d’une grande naturalité, toutes les actions favorables au rétablissement de la continuité écologique et donc au retour de l’Apron, sont bénéfiques à l’ensemble de l’écosystème.
Son extinction pourrait avoir un impact sur tout l’écosystème : l’Apron fait partie de ces espèces parapluies dont le domaine vital est assez large pour que sa protection assure celle des autres espèces appartenant à la même communauté. Détruire son habitat c’est donc menacer, par un effet domino, la multitude d’autres individus qui dépendent de son action. À l’image d’une chaîne alimentaire, en retirant un maillon, tout l’équilibre est bouleversé. Ce poisson qui s’inscrit dans notre patrimoine naturel français est ainsi le témoin du bon état de l’eau, une ressource de plus en plus précieuse.
Au vu de la situation climatique actuelle et des sécheresses qui en résultent, il est nécessaire de rendre à nos cours d’eau leur liberté de circulation pour des rivières propres et vivantes. Or, un seuil est un ouvrage qui barre tout ou une partie du lit mineur d’un cours d’eau. Il est important de conscientiser l’impact considérable sur l’écologie que peut constituer la mise en œuvre de ce type d’infrastructure. Chaque ouvrage, même minime, peut avoir une incidence significative en modifiant les flux dit génétiques (de gènes, soit d’espèces) et sédimentaires (gravier, cailloux, sable) du cours d’eau. Chaque action en amont ou en aval a ainsi des conséquences puisque ce sont des flux à double sens qui s’opèrent.
De plus, en entravant l’écoulement des flux, des zones de stagnation d’eau peuvent se créer, entraînant le réchauffement de l’eau. Parmi tous les impacts négatifs de cette montée de température, il y a l’impact majeur sur les espèces aquatiques et la prolifération de cyanobactéries. Ces dernières sont hostiles à certaines espèces et représentent un réel danger en matière de santé publique.
Citoyens comme élus, chacun a une responsabilité sur ce type d’actions et les conséquences qui en résultent.
Soulignons que les élus ont un rôle d’exemplarité à tenir dans le cadre du respect du fonctionnement de la gestion collective de l’eau, discutée dans les instances de concertation de chaque bassin versant. Les différents acteurs se doivent d’échanger collectivement pour trouver un consensus sur la gestion de la ressource en eau, déjà frappée par de nombreux épisodes de sécheresse à répétition. Un plan national de restauration de la continuité écologique des cours d’eau existe d’ailleurs depuis plus de 10 ans, témoin de l’enjeu collectif qu’elle représente.
Cependant, dans l’affaire du seuil de la Tourasse, en décidant seuls et unilatéralement de reconstruire le seuil de la Tourasse, les participants à ce chantier sauvage, dont plusieurs élus locaux, ont piétiné le principe démocratique en contournant le travail des instances décisionnelles de la gestion de l’eau, bloquant ainsi toute possibilité de dialogue. L’eau est un bien commun précieux, la protéger est une responsabilité collective. Par ces travaux sauvages donc illégaux, les élus ont balayé de manière brutale la décision prise de supprimer le seuil.
Au titre de leurs activités de protection des milieux aquatiques, les missions de FNE AURA sont reconnues d’intérêt public. Il est donc naturel et légitime que FNE AURA demande et obtienne réparation des préjudices lorsque de tels délits sont commis.
Nouvelle victoire de FNE AURA. Le 4 mai 2023, le tribunal judiciaire de Privas a jugé 17 prévenus, auteurs du chantier sauvage sur le seuil de la Tourasse à Joyeuse. Ils sont tous reconnus coupables et condamnés à 1000 euros d’amende chacun, à payer la remise en état du site, à verser 11 400 euros aux 3 associations parties civiles et 22 400 euros à l’État au titre du préjudice écologique. Construit illégalement sur la rivière de la Beaume en 2018, ce seuil est jugé nuisible aux milieux aquatiques. FNE AURA, partie civile dans cette affaire, se félicite que le juge ait retenu la gravité des faits, se réjouit de la remise en état du cours d’eau de la Beaume et compte sur l’EPTB Ardèche pour réaliser cette remise en état dans les meilleurs délais. Lire le communiqué La gestion collective de l’eau l’emporte sur les intérêts privés !
Crédit photo : FRAPNA Ardèche.
Publié par FNE Auvergne Rhône Alpes
Le Jeudi 27 avril 2023
https://www.fne-aura.org/nos-avis/region/la-tourasse-un-seuil-nuisible-a-lequilibre-ecologique-des-cours-deau/
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