Le temps du changement : Passer d’une vision mécaniste du monde à une vision écologique
Nous sommes entrés de gré ou de force dans une époque tourmentée ou les préoccupations écologiques deviennent cruciales ; époque de crises, de risques, d’incertitudes, de doute. Nous entrevoyons l’immensité des problèmes, l’impasse où nous sommes engagés. Il y a urgence à modifier nos valeurs, nos manières de penser, notre conscience de nous-même, de notre environnement et de leurs interrelations. C’est en fait un nouvel âge de l’humanité qui doit advenir, « un changement de paradigme», une véritable «révolution copernicienne».
Pour simplifier, de quoi s’agit-t-il ? C’est une crise de la perception entre une vision du monde fait de parties et une vision du monde formant un tout.
La «partie» fut définie au 16ème et 17ème siècle (avec Descartes et Newton entre-autres) comme étant mécaniste, réductionniste, atomiste.
Le «tout» émergea plus tard, surtout au 20ème siècle. Il peut être défini comme holistique, systémique, et pour ce qui concerne les êtres vivants comme organiciste, écologique.
La vision «cartésienne» fut une rupture avec les conceptions antiques et médiévales. Totalement anthropocentrique, elle fractionne, simplifie les phénomènes complexes pour isoler des objets d’étude compréhensibles. C’est une vision déterministe, analytique qui recherche des lois simples, objectives. Le monde est décrit de manière rationnelle, prévisible. L’intuitif, le subjectif n’ont pas droit de cité. C’est bien adapté au monde physique et cela permit des découvertes fondamentales en astronomie et en physique-chimie. (Galilée, Kepler, Laplace…)
Les explications mécanistes montrèrent vite leurs limites pour le caractère paradoxal des êtres vivants envers les lois thermodynamiques. Leur imprévisibilité, historicité, développement posaient de tels problèmes que des explications «vitalistes» eurent un temps de la considération (théorie de la préformation, de la génération spontanée…) «une force vitale, un élan créateur venus de l’extérieur pilotant les êtres vivants vers un but». On n’était pas loin des explications mystiques.
C’est dans ce contexte qu’émergea au milieu du 19° siècle une vision plus globale de l’organisation très complexe du vivant dans leur fonctionnement, leur développement, leur reproduction, leurs relations intra et interspécifiques, et aussi avec leur environnement. La biologie organiciste puis l’écologie allaient faire intervenir la systémique. (théorie générale des Systèmes de Bertalanffy)
Avec la systémique, on considère que, dans un ensemble, les éléments ne sont pas séparés mais liés par des connections établissant des processus fonctionnels. Ces réseaux établissent des flux de matière et d’énergie et «s’auto-organisent» dans des structures hiérarchisées. Ces structures se maintiennent «hors équilibre» à la recherche de stabilité dynamique fluctuante, en perpétuelle évolution pour s’adapter aux modifications de l’environnement. En retour, elles le transforment et évoluent vers une complexité toujours plus grande. L’ordre (information) surgit du désordre (bruit) entropique dans un véritable «continuum» de gènes, macromolécules, organites, cellules, organes, organismes, populations (sociétés), écosystèmes. La complexité fait apparaître des fonctions nouvelles émergentes, l’imprévisible né du prévisible, l’évolutif du réversible. Le tout est autre que la somme des parties.
La démarche analytique ne suffit donc plus pour comprendre les systèmes vivants. Elle a conforté la vision anthropocentrique, humaniste, naturaliste, moderne, de la civilisation occidentale avec les humains au dessus ou à l’extérieur de la nature et à l’origine de toutes les valeurs. C’est l’erreur fondamentale.
Une écologie superficielle, environnementale conserve malheureusement cette vision anthropocentrique qui ne donne à la nature qu’une valeur instrumentale, utile, sentimentale esthétique. Une autre écologie dite profonde radicale fondée dans les années 70 par Arne Naess lie humains, non-humains et environnement naturel.
Vu l’ampleur du cataclysme qui survient, il faut avoir le courage et l’humilité de renoncer à nos illusions d’espèce adolescente, réintégrer tel l’enfant prodige le monde naturel. Comme le conceptualise Bruno Latour : « il faut regagner nos territoires, renoncer définitivement à être Modernes et devenir Terrestres, renégocier nos limites avec celles de nos alter-égo non-humains vivants et non vivants ».
Article rédigé par Jacques Gregnac, adhérent de l’association.
Les textes n’engagent que leur auteur et sont une base de discussion.
Publié par FRAPNA Ardèche
Le Samedi 28 décembre 2019
https://www.fne-aura.org/actualites/ardeche/le-temps-du-changement-passer-dune-vision-mecaniste-du-monde-a-une-vision-ecologique/
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