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Portrait de bénévoles : Romain

Enseignant-chercheur à l'Université Grenoble Alpes, Romain rompt en 2021 avec le parcours tout tracé auquel il se destinait et infléchit sa réflexion et sa pratique au service de la résilience, notamment en rejoignant FNE comme bénévole. 

Jeudi 29 septembre 2022 Vie associative

Je m’appelle Romain, je suis enseignant-chercheur en mathématiques appliquées à l’informatique. J’enseignais à Paris avant d’arriver à Grenoble en 2018 pour travailler dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA). Je voulais aussi quitter Paris pour des raisons écologiques et de bien-être personnel.

En 2021 j’ai compris brutalement que, face aux enjeux planétaires, la « réponse » de l’IA et du monde numérique n’avait aucun sens. Le numérique est extrêmement destructeur, il pollue et il induit un rapport de dépendance de l’humain à la machine, donc aux énergies qui la nourrissent. La rupture avec mon travail est apparue comme une évidence. Dans la vague des étudiant·es d’AgroParis-Tech, qui ont appelé récemment à « bifurquer », j’ai arrêté la recherche en IA pour me consacrer à son démantèlement.

Certains appellent les outils numériques des technologies « zombies » parce qu’elles sont apparemment vivantes, mais déjà condamnées par l’épuisement des ressources minérales et énergétiques à venir. Si nous attendons la pénurie ou les foudres de la nature, nous allons nous retrouver du jour au lendemain incapable de nous nourrir, et avec des gigatonnes de déchets inutiles sur les bras. J’ai rédigé un appel à « démanteler l’IA » en direction des chercheurs et ingénieurs du domaine, comme un point de départ à l’entreprise de résilience qui nous évitera de vivre ce chaos imminent.

Comprendre, dimensionner, agir 

Le lien avec FNE s’est opéré lorsque nous avons répondu avec ma femme à un appel pour dépolluer une décharge sauvage. On y a passé quatre heures à une vingtaine de personnes pour un résultat quasi nul, tellement le site était recouvert de déchets, et de déchets sous les déchets. Ça aurait pu être décourageant, mais l’expérience humaine, le partage de notre douleur, était puissant…

L’anthropologie et l’écopsychologie nous enseignent que le récit consumériste dans lequel nous vivons mène mécaniquement à l’auto-destruction, mais que d’autres récits enthousiasmants sont possibles, pour transformer les signaux de douleurs et les messages d’angoisse en moteur d’engagement et de construction d’autre chose. Dans le cadre du Réseau d’Echanges et Formations de FNE Isère, on m’a proposé d’animer un échange sur ce sujet. Je me suis efforcé de rester simple, logique et concret. Les étudiants me disent souvent « dans un repas de famille, je passe pour un extrémiste lorsque j’essaie d’expliquer mes choix », c’est aussi pour les aider à être audibles que je fais ça. J’appelle ça : « comprendre, dimensionner, agir » :

  • Comprendre les logiques systémiques de la planète : une fois que c’est clair, il est plus facile de le transmettre. C’est vraiment beaucoup plus simple qu’on ne le croit.
  • Dimensionner : resituer une information ou un chiffre clé dans son contexte pour l’utiliser comme argument. On peut facilement montrer par exemple l’absurdité des voitures électriques ou la démagogie des énergies renouvelables.
  • Agir : redéfinir des valeurs, remettre en cause nos tabous (le fétichisme de l’argent, le présupposé archaïque que les autres animaux ne sont pas doués de conscience…) et retrouver un pouvoir d’agir, un moteur intérieur, alimenté par la compassion des êtres qui souffrent et animé par notre désir de retrouver le bonheur simple du monde vivant.

Lutter contre l’écoanxiété – ou plutôt : pour l’écolucidité

On m’a proposé d’animer un second REF au sujet de l’écoanxiété, que je préfère nommer écolucidité pour bien figurer qu’il ne s’agit pas d’une pathologie. Avec un ami écopsychologue, nous avons montré la nécessité de repenser notre manière d’être vivant. Il ne s’agit pas de réduire notre bilan carbone ou de trier nos déchets parce que « ce n’est jamais suffisant », mais de redéfinir notre place au sein du vivant. Un exemple simple : beaucoup d’entre nous aiment « se promener seul·e en forêt », sans trop comprendre pourquoi. Ce sentiment vient peut-être bien du fait qu’on n’est précisément jamais seul·e en forêt, mais constamment entouré·e d’une multitude d’êtres vivants qui communiquent avec nous : les molécules émises par les arbres, les animaux qui nous observent, les plantes qui nous nourrissent… Le fait de savoir que dans nos corps il y a énormément d’éléments qui ne portent pas ton ADN, comme les mitochondries communes à tous les animaux et grâce auxquelles nous produisons notre propre énergie, tout ça nous relie aux autres de manière continue à travers l’espace et à travers le temps. On découvre alors qu’on n’est pas seul, on comprend mieux son milieu, on fait corps avec lui, et donc on réapprend le miracle d’être en vie. Le basculement devient évident : l’effondrement que nous vivons est en définitive une opportunité unique de sortir enfin d’un monde malade et de construire autre chose.

Souvent, on me dit que ma transition est courageuse, qu’on n’oserait pas en faire autant. Personnellement je pense plutôt que ne pas changer m’aurait rendu infiniment malheureux. C’est fou le temps qu’il m’a fallu pour réaliser que mon brillant parcours m’avait mené à devenir un expert mondial… en rien ! Je suis tellement spécialisé que je suis incapable de comprendre ce sur quoi bosse le collègue dans le bureau d’à côté. Depuis que j’ai arrêté tout ça, je retrouve mon plaisir naïf d’enfant qui s’émerveillait de tout et n’importe quoi.

On n’est pas seuls, les choses bougent

L’élan du changement viendra des associations, de manière collective. Les actions comme celles de FNE sont des points d’entrée pour combattre l’isolement et permettre la mise en action. Grenoble est une plate-forme très active, des réseaux existent, les essaims vrombissent et sont prêts à prendre leur envol, en souterrain mais efficaces parce que transformateurs. On n’est pas seuls, les choses bougent.

Cela dit, il faut se méfier du syndrome du super-héros qui nous pousse à vouloir sauver le monde en étant partout, tout le temps. Je l’évoque parce que j’ai traversé une période difficile, pris tous les jours dans une action différente, oubliant l’urgence de ralentir, de laisser aussi la vie reprendre son rythme. C’est un équilibre délicat à négocier entre une injonction morale à agir pour la planète et une injonction de la planète à la laisser reprendre son rythme. J’aime beaucoup l’ouverture pluridisciplinaire de FNE, beaucoup d’actions dans différents champs, ça crée une communauté diversifiée, c’est un vrai nœud d’échanges de savoirs et de ressentis au niveau local, et un point de rayonnement très fort vers d’autres associations qui ne demandent qu’à créer la toile du récit post-industriel.

Publié par FNE Isère

Le Jeudi 29 septembre 2022

https://www.fne-aura.org/actualites/isere/portrait-de-benevoles-romain/

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