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Le Lioran, chronique d’une fuite en avant face aux changements climatiques

Les stations de sports d'hiver de moyenne montagne traverse une crise à cause du manque d'enneigement et du changement climatique. Point d'étape sur la station cantalienne du Lioran.

Mercredi 13 janvier 2021 Montagne

Quelques éléments de contexte

Les zones de montagnes sont considérées par le GIEC(1) comme des espaces particulièrement sensibles aux changements climatiques tant au niveau de la rapidité des changements observés qu’au niveau des risques de dégradations des infrastructures liés aux aléas climatiques.

Dans le Massif Central le changement climatique est documenté(2) et se traduit par une augmentation des températures (+0,3°c par décennie entre 1959 et 2009) des fortes chaleurs et des canicules, la diminution de la durée de l’enneigement et de la hauteur de neige moyenne, la modification de la période de gel, l’augmentation des épisodes de sécheresse et des risques incendie.
Pour la neige, les analyses démontrent une diminution de 5 jours par décennie pour la présence de neige au sol et plus de 10 jours par décennie pour les épaisseurs supérieures à un mètre. Il est constaté une baisse de l’enneigement de -30 à -50% à 1500 m d’altitude.

 

Quelle est la réponse de la station du Lioran

Face à ce constat et aux perspectives qui en découlent notamment pour l’avenir du ski dans le Cantal nous sommes de plus en plus alarmés par l’avenir de la station du Lioran car il apparait manifeste que ses gestionnaires n’en ont pas encore tiré les leçons.
La station dont le directeur revient d’un crochet par les Pyrénées (il est l’homme qui a fait la une des médias français et européens pour avoir fait transporter de la neige par hélicoptère l’hiver dernier !) affirme que le Lioran aurait un temps d’avance sur la problématique de l’activité hors ski. Et pourtant rien n’a été engagé (le chiffre d’affaire hors saison ski plafonne à 10% du CA annuel) car les pistes d’action qu’il rappelle sont connues depuis longtemps et les nouvelles idées ne feront qu’augmenter un peu plus l’empreinte écologique de la station (comme l’idée d’un plan d’eau de baignade).

Le Département ne parait pas plus instruit des modifications profondes que vont subir les massifs, puisqu’il croit encore que ce sera « bon » s‘il arrive à tirer la part du hors ski à 20% ! La Région qui en injectant 3 M € dans 23 stations régionales, les mettent littéralement sous perfusion, puisque le critère d’éligibilité est d’aider uniquement celles qui par manque d’enneigement ont eu un chiffre d’affaire inférieur à 80% de la moyenne des trois dernières années. Autrement dit, elles sont au bord de la faillite (perspective d’ailleurs confirmée par M. Faure qui dit que le Lioran ne pourra
supporter une nouvelle année aussi déficitaire que l’hiver 2019-2020) mais l’argent public vient les pousser à « investir pour des travaux de création, de rénovation, d’extension ou d’aménagement du domaine skiable » !

La fuite en avant :
Dans ce contexte où l’absurdité le dispute à l’imprévoyance, la SAEM fait l’acquisition d’une machine à faire de la neige par température positive pour un montant de 400 000 €. Et les mêmes arguments que les justifications avancées par la station des Hautes Pyrénées qui transportait de la neige par
hélicoptère, ressortent : l’emploi, la nécessité d’assurer les cours des écoles de ski. Autrement dit continuer de former des skieurs, et les habituer à skier sur de la neige de culture, alors qu’il faudrait se désintoxiquer de la culture du ski et de la mono-exploitation de la montagne.

Par ailleurs, cette technologie présente d’autres incohérences, à savoir :
Le fournisseur Demaclenko™ présente une gamme de 3 modèles de sa machine Snow4Ever® qui permettent de produire de 10 à 100 m3 de neige artificielle par jour, 365 jours par an comme le dit la publicité, puisqu’elle produirait par des températures de -3 à +25°c.
Ce système miracle a déjà été utilisé ailleurs (Vosges, Pré-Alpes…) et a conduit à des dépenses insensées pour des résultats inopérants. Mais il se trouve encore des pigeons à plumer. Sauf que ce sera au prix d’une augmentation des dépenses énergétiques, de la consommation d’eau, des atteintes au milieu et une banalisation de la neige et des usages de la montagne, accroissant encore la déconnection entre le public ski et la nature.
L’augmentation des besoins en eau est particulièrement préoccupante puisqu’on considère qu’il faut 1m3 d’eau pour produire 2 m3 de neige artificielle. Soit rien que pour la Snow4Ever® si elle devait fonctionner 1 mois (toutes les vacances scolaires qui sont les mois de plus grande fréquentation) de 150 à 1500 m3 d’eau. On peut voir cela comme une goutte d’eau puisqu’elle fait suite à un investissement continu de la station en canon à neige : plus de 240 à ce jour « grâce » à une installation continue depuis 1987.
En moyenne l’enneigement artificiel nécessite 4000 m3 d’eau à l’hectare (le maïs 1700 m3 /ha) et 25 Mw/h par hectare enneigé. Il a été calculé que l’ensemble des stations de ski de l’arc alpin consommait 95 millions de m3/an soit l’équivalent de la consommation d’une ville de 1.5 millions d’habitants.
Au-delà de l’achat d’un gadget, la station du Lioran envisage d’étendre encore le parc de canons à neige (sur Prat de Bouc) ce qui nécessitera de créer encore une retenue d’eau dans un contexte de plus en plus tendu de partage de la ressource.
Comment une telle gabegie peut encore s’entendre alors que la station a du mal à assurer le traitement de ces effluents et doit répondre devant la justice
d’une pollution majeure de l’Alagnon ?

Nos propositions
Nous suggérons plusieurs approches qui suivent les principales recommandations du CGEDD(3) :
– Instaurer des débits minimum biologiques sur tous les torrents et cours d’eau de montagne ;
– Soumettre les équipements en neige de culture aux commissions UTN (Unité Touristique Nouvelle) ;
– Interdire les constructions de retenues sur des zones à intérêt naturel notamment les zones humides, conformément aux mesures règlementaires de la loi sur l’eau pour protéger ces milieux sensibles ;
– Conditionner les autorisations et les aides financières pour tout nouvel équipement à un programme d’économie des ressources en eau et en énergie sur l’ensemble du fonctionnement de la station ;
– Encourager les dispositifs de simulation du fonctionnement en période de pénurie hivernale conduisant à l’établissement d’un zonage de priorité d’enneigement du domaine skiable.

Au-delà de ces pistes d’action, FNE Cantal suggère :
– De limiter l’enneigement artificiel à 20% du domaine skiable en le dédiant uniquement aux parties basses surfréquentées, itinéraires de retour et stades de neige ;
– De déconstruire des réseaux de drainage, de busage à chaque nouvelle implantation de canons à neige dans le même domaine, afin de restaurer les fonctions des milieux aquatiques impactés ;
– D’engager une politique vraiment volontariste pour convertir la station hivernale en station climatique d’été pour les populations fragilisées par les changements climatiques (mobilisation des capacités d’hébergement, démontage d’installations ski pour favoriser l’insertion d’activité
de pleine nature, communication orientée tournant le dos à la vocation ski…)

(1) GIEC : Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat
(2) Rapport RICCMAC (réseau d’information sur le changement climatique dans le Massif-central) 2015
(3) CGEDD : Commissariat Général de l’Environnement et du Développement Durable (rapport n°006332-01-2009)

Publié par FNE Cantal

Le Mercredi 13 janvier 2021

https://www.fne-aura.org/actualites/cantal/le-lioran-chronique-dune-fuite-en-avant-face-aux-changements-climatiques/

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