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Bienvenue au jeune gypaète barbu !

L'événement ne s'était pas produit sur le Vercors depuis plus d'un siècle : un jeune gypaète vient de naître sur le territoire du Parc naturel. Cette éclosion est le fruit d'un patient travail de réintroduction de l'espèce, disparue du massif au siècle dernier : une nouvelle dont il faut se réjouir, tout en restant encore prudent. Mais il est permis d'espérer que l'Homme, après avoir éradiqué le gypaète dans le Vercors, pourrait aujourd'hui l'aider à renaître.

Vendredi 08 avril 2022 Biodiversité

Bruno Cuerva est garde de la réserve naturelle des Hauts Plateaux au sein du Parc Naturel Régional du Vercors, actif dès l’origine du projet de réintroduction, au moment du choix du cirque d’Archiane en 2007-2008. Il a lâché un instant ses jumelles pour revenir sur l’événement : « C’est exceptionnel, cela fait plus de 100 ans qu’on n’a pas vécu ça sur le Vercors, voire un siècle et demi. Fin XIXe / début XXe siècle, les gypaètes barbus avaient disparu de l’arc alpin européen. C’est l’aboutissement d’une quinzaine d’années d’investissement, de travail et de doute face aux questions qu’on nous a souvent posées, « À quoi ça sert ? Combien ça coûte ? »…, c’est long et difficile mais ça vaut le coup ! ».

Un premier succès dans un long processus

La jeune maman, prénommée Gerlinde, a été relâchée et acclimatée en 2013. L’identité du mâle demeure inconnue. Toutes les étapes, de la constitution du couple à la ponte de l’œuf, en passant par la fabrication du nid et la couvaison, ont été déduites d’après l’observation des deux adultes. Ils ont en effet nidifié à flanc de falaise, dans un endroit accessible pour eux mais pas pour les intrus, et le nid reste hors de vue. B. Cuerva observe avec un sourire : « Les deux jeunes parents ont été très assidus, ce ne sont pas des ados qui sortent en boîte de nuit, ils se relaient avec beaucoup de sérieux, notamment pour assurer une vraie bulle de sécurité autour du nid. Le mâle est un peu plus agressif, à plusieurs reprises il a mis une petite raclée à un aigle royal ou un vautour fauve, pour leur rappeler que c’était leur chambre à coucher, défense d’entrer ! Mais à part ça, ils se répartissent toutes les tâches : couvaison, nourriture, surveillance… ».

Guerlinde, en juin 2021 - Crédits Alain Herrault

Il faut dire que le gypaète barbu, avec son œil cerclé de rouge, sa « barbe » noire et ses 3 mètres d’envergure environ, ne craint pas les autres rapaces. Strictement nécrophage, il se nourrit essentiellement d’os prélevés sur des carcasses de bouquetins ou de chamois, et joue un rôle essentiel de nettoyage de la nature. « Observer le gypaète, c’est un mélange d’excitation et de patience pour l’équipe de bénévoles : il faut être très concentré pour ne rien rater, et en même temps, entre deux rotations, il y a parfois beaucoup d’attente ».

Porté par le Parc du Vercors jusqu’en 2015, le projet a ensuite été relayé par le Life Gypconnect, sur des fonds européens, dans le cadre d’une initiative plus globale, en alternance avec l’association Vautours en Baronnies. Il s’agit de relier les populations existantes des Alpes aux populations pyrénéennes. Le Vercors & les Baronnies provençales constituent des têtes de ponts entre les deux pour recréer une continuité et une diversité génétique à moyen et long terme.

Une adaptation mutuelle nécessaire

Avec la naissance du petit débute une nouvelle étape. Durant ses quinze premiers jours de vie, il a besoin de viande : de la chair d’animaux morts emportés par une avalanche ou victimes d’une chute, une matière imprégnée de nutriments et d’eau. Il sera ensuite capable de commencer à ingérer des os et de la moelle comme ses parents, mais restera à l’abri du nid jusqu’à son premier envol, pas avant son quatrième mois révolu, ce qui nous mène jusqu’à l’été prochain.

« Nous sommes plutôt optimistes, même s’il existe un taux de mortalité non négligeable, notamment à cause des activités humaines. Le danger le plus important, ce serait quelqu’un qui voudrait filmer avec un drone, ou un grimpeur imprudent, un secours en hélicoptère à proximité du nid… La chasse est fermée donc a priori il n’y a pas de risque de ce côté, et nous avons la garantie des chasseurs de ne pas chasser sur ce site. Depuis 2010 nous avons connu de nombreux décès d’animaux sur le périmètre du projet Life (Alpes et Massif central), et sans doute un début de reproduction l’an dernier mais qui a échoué. La réussite cette fois, ce sera vraiment lorsqu’il prendra son premier envol. Pour l’instant on évolue au jour le jour ». Heureusement le coup de froid hivernal autour du premier avril, avec du brouillard et d’abondantes chutes de neige, n’a pas empêché ses parents de lui trouver de la nourriture.

Crédits : Guillaume Fruquière

Le gypaète revient de loin !

Souvent chassé car on le croyait prédateur et dangereux, il a fallu attendre longtemps avant que les connaissances scientifiques changent notre regard sur cet animal méconnu. « On colportait des histoires, on disait par exemple que les rapaces emportaient des enfants, et donc, selon les coins, on les exterminait. Aujourd’hui c’est globalement terminé, même s’il subsiste quelques cas isolés, un gypaète empoisonné l’an dernier dans la Vanoise, un autre abattu dans les Causses… Pareil pour les pratiques sportives : globalement on travaille bien avec les clubs d’escalade, de parapente, même si par-ci par-là il y a encore des électrons libres qui font n’importe quoi en disant « C’est ma falaise, c’est mon spot, c’est ma liberté… ». L’un d’eux nous a écrit « Ils n’ont qu’à aller pondre ailleurs ! », et même si beaucoup font attention, il suffit d’un seul, au mauvais moment et au mauvais endroit. Notre travail avec le public, c’est de faire comprendre aux gens ceci : le gypaète, comme l’aigle, le vautour, le grand-duc, ne viennent pas s’installer chez nous, c’est l’inverse, c’est nous qui venons nous installer chez eux. On nous répond qu’ils avaient disparu, certes, mais c’est à cause de nous, et il n’empêche qu’ils sont toujours, et de nouveau, chez eux. À nous de nous adapter, et pas le contraire ».

Pour conclure, B. Cuerva évoque « la dimension poétique et esthétique du projet, le plaisir de voir planer un oiseau au-dessus de sa tête, et de repeupler un espace qui doit être partagé. Sortir un gypaète de son centre de soins, derrière un grillage, et lui faire vivre sa vie dans les montagnes, avec tous les risques que cela comporte, ça revêt une valeur éducative, écologique, philosophique. Je suis garde depuis 30 ans : croyez-moi, quand on contemple un gypaète en plein vol, on s’en souvient toute sa vie ».

Avis aux curieux : si vous souhaitez continuer d’admirer des gypaètes à l’avenir dans le Vercors, restez discrets, respectueux et attentifs !

Pour aller plus loin :

Crédits photo de couverture : Guillaume Fruquière

Publié par FNE Isère

Le Vendredi 08 avril 2022

https://www.fne-aura.org/actualites/isere/bienvenue-au-jeune-gypaete-barbu/

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