La restauration d’une rivière, 10 ans après…
La restauration des milieux naturels, notamment en milieu humide ou aquatique, est une action courante. Les travaux, dignes des chantiers du BTP, sont souvent impressionnants. Parfois, des riverains s’insurgent, persuadés qu’ils causent des dommages irréversibles à la nature. En effet, la restauration n’est pas anodine et les chantiers peuvent être traumatisants pour le milieu. Cependant, il faut penser à long terme : quels sont les gains obtenus pour le site naturel ? Voici la réponse sur le site, dix ans après les premiers travaux de restauration, en compagnie du SR3A (Syndicat des rivières de l'Ain Aval et de ses affluents).
Quand la transformation du paysage crée de nouveaux espaces naturels
Le site se situe le long du bief de Dessous-Roche, à Brion. Les hommes y ont planté des résineux (épicéas) pour l’exploitation sylvicole. Dans les années 90, des phénomènes de crues et d’inondations, dues à des résurgences phréatiques en raison d’un cumul de neige important couplé à de fortes précipitations, ont posé problème aux activités humaines. Un bras de décharge a alors été créé dans le cadre du contrat de rivière. Il s’agit d’un canal, creusé dans les alluvions, couplé à la création d’une digue « guide eaux », guidant l’eau jusqu’aux champs d’expansion. Cela permet au bras du lac de s’écouler librement en évitant que l’eau refoule jusqu’au lac de Nantua. avec le temps, le canal s’est transformé en zone humide, avec une roselière, une cariçaie, une prairie humide… Ces nouveaux milieux ont permis de garder une température fraîche toute l’année dans le Dessous-Roche et l’Oignin.
La zone humide de Martignat
Travaux, classement et gestion vertueuse des milieux
En 2010, le Secteur de Dessous Roche, un massif forestier situé sous une petite montagne au-dessus de la zone humide, a été classé en zone refuge. Le plan de gestion prévoyait des actions de renaturation et une gestion plus vertueuse. Les ruisseaux ont aussi fait l’objet de nouveaux tracés avec reméandrage. Des conventions entre les propriétaires forestiers et les gestionnaires du milieu naturel, ont défini une exploitation sylvicole plus respectueuse du milieu naturel. Ainsi, au sein des peupleraies, des bandes d’arbres feuillus ont été plantées, avec plusieurs strates pour imiter un fonctionnement plus naturel. Une forêt alluviale[1] a vu le jour, avec toute sa richesse écologique et ses fonctions essentielles. Au niveau paysager, les chemins d’exploitation des forêts et du bras de décharge sont utilisés par les habitants pour la promenade
Secteur dit de Dessous Roche
L’évaluation d’un site restauré
Pour évaluer la qualité de la restauration, les experts se fondent sur des indicateurs. Ils peuvent correspondre à la présence de certains animaux : libellules, amphibiens, oiseaux… Par exemple, dans un site aquatique comme celui du Dessous-Roche, la présence de certains macro invertébrés aquatiques ou d’insectes aquatiques démontre une richesse du milieu ou une amélioration de la qualité de l’eau. Les cohortes[2] considérées comme sensibles (par exemple, certains éphémères/trichoptères et plécoptères) sont essentielles pour atteindre une bonne qualité du site. La présence de certains poissons atteste d’une eau plus froide, en raison du reméandrage et de la remontée du lit. Certaines espèces, notamment les truites, ne survivent pas au-delà d’une certaine température (25°C). Ces travaux aident alors ces espèces à lutter contre le changement climatique. Une nouvelle cartographie des habitats permet aussi de vérifier le fonctionnement du milieu restauré et la connectivité entre les milieux.
Papillon demi-deuil (Melanargia galathea) dans la prairie humide à Martignat
Les résultats dix ans après…
Le cours d’eau, auparavant rectiligne, incisé et trop large, est devenu un chevelu reméandré, doté d’une flore et d’une faune abondantes. Les suivis montrent que la température de l’eau ne dépasse pas les 20 degrés en été, alors qu’elle atteignait 19 degrés avant les travaux. Le site est devenu une zone de refuge thermique pour de nombreuses espèces. En effet, l’Oignin est malheureusement bien plus chaud sur d’autres tronçons en dehors du site. Des essences locales se sont développées après plantation. Malheureusement, elles n’empêchent pas la présence de solidage, une espèce exotique envahissante. On constate également une diversité de strates, avec des herbiers, indispensables pour l’agrion notamment, et des plantes rampantes, en bordure et dans le cours d’eau. Ces végétaux offrent des zones au courant rapide et des zones plus calmes, propices à la reproduction de certains poissons. Par ailleurs, les travaux ont restauré des corridors écologiques terrestres et aquatiques, étant, désormais, théoriquement à même d’accueillir des espèces telles que le castor ou la loutre, non présents actuellement sur le bassin versant.
Diversité de la végétation sur le Lange
La force de la nature avec l’aide de l’homme
Si la nature reprend ses droits et crée elle-même de nouveaux milieux, il est intéressant de noter que l’homme peut faciliter le processus. Le fauchage des prairies permet notamment de maintenir des espaces ouverts, nécessaires à de nombreuses espèces. Sans entretien, le cours d’eau redevient naturel, avec des embâcles, des fosses, des radiers, des bras morts, la ripisylve… Ces milieux recréés sont désormais intégrés dans tous les travaux de restauration de rivières en raison de leur importance écologique.
Passe à poisson fonctionnelle sur le Lange après travaux
Par ailleurs, les travaux ont amélioré la qualité de certains habitats déjà présents. Sur le site de Dessous-Roche, c’est le cas des mares temporaires, abritant le sonneur à ventre jaune. S’il n’est pas possible de revenir à un marais semblable à ce que le site était il y a des centaines d’années, notamment en raison des changements climatiques, les travaux effectués sur le Dessous-Roche contribuent à améliorer l’hydrobiologie des lieux. Ainsi, un marigot [3] a repris possession d’une partie du site, à l’image de ce qu’il était par le passé.
Marigot au bord du Lange après travaux
Pour conclure, la restauration d’une rivière est un processus long et technique, nécessitant parfois certains compromis entre la nature à l’instant présent et la nature en devenir. Toutefois, l’expérience montre que les projets menés avec une conscience écologique sont des réussites sur le long terme et permettent de recréer des milieux riches et essentiels face aux changements rapides et drastiques que l’environnement connaît aujourd’hui.
[1] pour en savoir plus : https://glossaire.eauetbiodiversite.fr/concept/for%C3%AAt-alluviale
[2] espèces recouvrant des caractéristiques communes et propres à être étudiées, ainsi que leurs liens avec les milieux, pour analyser la richesse écologique d’un milieu.
[3]étendue d’eau stagnante, temporaire ou non, issue d’un bras mort d’un cours d’eau.
Ce projet a bénéficié du soutien financier de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.
L’agence de l’eau est un établissement public de l’Etat qui œuvre pour la protection de l’eau et des milieux. Elle perçoit des taxes sur l’eau payées par tous les usagers et les réinvestit auprès des maîtres d’ouvrages (collectivités, industriels, agriculteurs et associations) selon les priorités inscrites dans son programme « Sauvons l’eau 2019-2024 ».
Plus d’information sur www.eaurmc.fr

Publié par FNE Ain
Le Jeudi 21 novembre 2024
https://www.fne-aura.org/actualites/ain/la-restauration-dune-riviere-10-ans-apres/
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