Centrale hydroélectrique sur la Sallanche
Le 6 décembre 2022, à la suite d’un recours engagé par notre association France Nature Environnement Auvergne-Rhône-Alpes (FNE AURA), le juge administratif de Grenoble a annulé l’autorisation de construction d’une microcentrale hydroélectrique sur le cours d’eau de la Sallanche, accordée par le préfet à la construction et l’exploitation par la Régie de gaz et d’électricité de Sallanches. Cependant, le Jeudi 4 mai, la justice a suspendu l’exécution du jugement prononçant l’annulation de l’autorisation de la centrale hydroélectrique de Sallanches et de son démantèlement. Cette décision n’est que temporaire, dans l’attente de la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon.
Afin d’éclaircir une situation bien plus nuancée et problématique qu’il n’y paraît, retrouvez toutes les informations nécessaires pour mieux maîtriser cette affaire…
Pourquoi la centrale hydroélectrique de la Sallanche est un contre-exemple de la transition énergétique et écologique ?
Elle porte une atteinte majeure à l’hydrologie du cours d’eau en réduisant de plus de 50% le débit de la Sallanche
La centrale prévoit de dériver 53% de l’eau de la Sallanche sur près de 4 km, la privant ainsi de plus de la moitié de son eau sur le tronçon court circuité. On parle dans ce cas d’atteinte à l’hydrologie du cours d’eau (la circulation de l’eau). L’impact est d’autant plus important du fait que le tronçon court-circuité représente à lui seul 40% de la rivière.
Ce tronçon court-circuité sera soumis à des variations brutales de débit au gré de l’exploitation de la centrale. Or ces variations brutales de débit ont des impacts significatifs sur la faune : échouage d’alevins, assèchement de frayères, perturbation du frai, chasse vers l’aval des poissons mais aussi des invertébrés aquatiques qui constituent leur nourriture. Ces effets existent dans toutes centrales hydroélectriques mais ils sont ici amplifiés par les caractéristiques de fonctionnement de cette centrale, inhabituelles pour une turbine de ce type.
Elle met en péril un réservoir biologique, zone clé pour la survie des cours d’eau
Cette atteinte majeure à l’hydrologie du cours d’eau est d’autant plus grave que le porteur de projet a décidé d’installer sa centrale précisément sur une zone de la Sallanche classée en raison de son intérêt particulier pour maintenir la bonne santé du cours d’eau et de tout un réseau de cours d’eau reliés. Cette zone a été identifiée par les acteurs de la gestion de l’eau comme un réservoir biologique, c’est-à-dire qu’elle joue un rôle clé pour la survie du cours d’eau et celle de nombreux autres cours d’eau liés : zones refuge pour la faune aquatique, de reproduction, de développement…
En l’occurrence, ce réservoir biologique sur la Sallanche joue le rôle de pépinière pour ré-ensemencer en poissons le cours d’eau principal de l’Arve et plus largement. Plus important encore, c’est une pépinière pour la production de truites farios et de chabots, deux espèces de poissons protégées et en danger critique d’extinction. Le peuplement de l’Arve par ces espèces dépend directement de la production de juvéniles par son affluent, la Sallanche.
Le projet est en pleine zone classée et protégée
Le porteur de projet était parfaitement au courant de l’intérêt écologique crucial de ce secteur pour la vie des cours d’eau. Il a pourtant construit cette centrale hydroélectrique sur un site identifié réservoir biologique depuis 2009. Ce tronçon du cours d’eau est également classé au titre du code de l’environnement par arrêté préfectoral depuis 2013 avec interdiction de construire toute installation qui constituerait un obstacle à la continuité écologique (on parle de classement en liste 1). Une double protection qui traduit bien l’intérêt écologique majeur du site. Tous les réservoirs biologiques du bassin de l’Arve n’ont d’ailleurs pas été classés en liste 1, et ce afin de permettre la réalisation de certains projets d’aménagement, preuve des enjeux écologiques en présence sur cette zone.
Le gain énergétique est dérisoire et au détriment de la biodiversité
Une telle atteinte à la vie des cours d’eau n’est pas tolérable en soi, et encore moins justifiable ici au regard du faible potentiel productif de la centrale. Le rapport coût/bénéfice est clairement défavorable avec une production attendue équivalente à seulement celle d’une éolienne.
Nous ne le rappellerons jamais assez : développer les énergies renouvelables est nécessaire et indispensable ! Cependant, cela ne doit pas se faire au détriment de la biodiversité dont nous sommes tout aussi dépendants pour notre survie.
L’implantation de la centrale hydroélectrique sur cette zone est donc un non-sens en ayant pour effet de réduire de 53 % l’hydrologie du tronçon court-circuité, alors que celui-ci constitue plus de 70 % du linéaire de la Sallanche classé en liste 1 à titre de réservoir biologique. Autoriser le prélèvement d’eau dans une zone si importante pour l’écologie du cours d’eau est une hérésie.
Pourquoi les élus et la Régie sont bien les seuls responsables du risque financier de ce dossier ?
Une défense qui tronque et qui trompe
Le porteur de projet, la Régie de gaz et d’électricité de Sallanches, se retranche derrière des arguments pour le moins téméraires pour justifier son projet. Le tronçon de la Sallanche dérivé aurait été classé réservoir biologique à tort. L’hydromorphologie du cours d’eau (zone de gorges et de cascades) serait peu propice à la vie piscicole. Ses inventaires piscicoles confirmeraient d’ailleurs cet état de fait. Une allégation osée et fausse. Alors même que les inventaires produits sont anciens (2007 et 2014) et furent effectués dans des conditions particulièrement défavorables, ils mettent en évidence la présence de reproduction naturelle de truites farios et de chabot précisément dans les zones déclarées inhospitalières. Cette reproduction naturelle est d’ailleurs confirmée par le diagnostic réalisé pour la Sallanche en 2020 par la fédération de pêche de Haute-Savoie.
Par ailleurs, la zone a été identifiée réservoir biologique en 2009 à la suite d’une démarche sérieuse et concertée. Le déclassement de la Sallanche de la liste des réservoirs biologiques n’a jamais été envisagé lors des différentes révisions de ces listes. Ni le porteur de projet, ni les élus n’en ont d’ailleurs fait la demande en 2021 alors que l’opportunité leur en était donnée. A noter qu’une expertise scientifique sur les réservoirs biologiques a été engagée de 2017 à 2020 par l’INRAE. Cette étude confirme la pertinence du réseau des réservoirs biologiques, notamment en ce qui concerne la faune piscicole et rappelle que l’influence de ce réseau est stratégique dans un contexte de changement climatique, en particulier pour le soutien de la résilience des milieux qui bénéficient de l’effet d’essaimage des réservoirs biologiques.
Enfin, le porteur de projet tente de faire croire par des calculs que le débit dérivé n’affectera pas l’hydrologie du tronçon court-circuité et sa faune aquatique. Vaine tentative qui ne résiste pas à l’analyse des services compétents et spécialisés de l’Office Français de la Biodiversité, confirmée par le juge administratif.
Élus, porteur de projet, préfet : tous aveugles et sourds aux alertes des associations
Comment l’État a-t-il pu autoriser la centrale hydroélectrique sur cette zone d’implantation dont les impacts sur cette zone protégée étaient connus et pointés ?
L’Office Français de la Biodiversité (OFB) avait alerté sur l’atteinte à l’hydrologie du cours d’eau dans plusieurs avis. La commission locale de l’eau avait pointé les insuffisances des données techniques du porteur de projet.
Les associations, dont FNE AURA, ont fait part de leurs arguments et réserves très tôt dans le processus : au sein de la Commission Locale de l’Eau du SAGE de l’Arve, lors de l’enquête publique, auprès des instances départementales et en déposant un recours gracieux auprès de Monsieur de Préfet. Mais rien n’y a fait. Toutes ces initiatives se sont révélées vaines.
Le porteur de projet, les élus comme le préfet sont restés aveugles et sourds aux alertes, s’entêtant sur un projet alors même que beaucoup d’autres possibilités d’implantation sont possibles sur le bassin de l’Arve pour la production d’hydroélectricité. Un entêtement qui peut coûter 6 millions d’euros au contribuable, un gaspillage d’argent public dont ils sont seuls responsables.
Le manque d’écoute et de démocratie qui entoure trop souvent les projets d’aménagement est déplorable. Ce manque de dialogue pousse trop souvent les associations à devoir solliciter la justice pour obtenir un arbitrage.
Transition énergétique et protection de la biodiversité : un seul et même combat
L’hydroélectricité est une énergie décarbonée mais son impact sur la biodiversité est très important.
Un cours d’eau est un concentré de vie, pas un tuyau ! Ces concentrés de vie sont en grand danger : en France près de 100 000 barrages ou seuils de toutes sortes bloquent la libre circulation des cours d’eau. Ces barrages ou seuils, en bloquant le passage des poissons, l’écoulement des sédiments, tuent la vie dans les rivières. Nos cours d’eau sont à bout de souffle : mauvais état des cours d’eau, effondrement des populations aquatiques, suréquipements au détriment de la continuité écologique. Il faut protéger nos derniers cours d’eau sauvages, particulièrement en tête de bassin versant.
Aujourd’hui, 90% du potentiel hydroélectrique en France est déjà exploité. Les 10% restants concernent essentiellement les rares cours d’eau demeurés sauvages en France. La lutte pour le climat et la protection d’une biodiversité en grand déclin sont deux combats à mener de pair, et non l’un au détriment de l’autre. Cette approche doit s’appliquer à tous les projets d’énergies renouvelables.
Pour aller plus loin :
Sur la centrale de Sallanches :
La justice a tranché : la biodiversité de la Sallanche en sursis (France Nature Environnement AURA)
Annulation de l’autorisation de la centrale hydroélectrique de la Sallanche (France Nature Environnement Haute-Savoie)
Annulation de l’autorisation de la centrale hydroélectrique de Sallanches : une victoire pour la vie de nos cours d’eau (France Nature Environnement AURA)
Sur l’hydroélectricité :
Hydroélectricité : en revenir à la raison ! (France Nature Environnement AURA)
Nos positions sur la micro hydroélectricité (France Nature Environnement AURA)
Petites centrales hydroélectriques : nos réserves (France Nature Environnement AURA)
L’hydroélectricité : mieux comprendre les enjeux et les impacts sur les cours d’eaux (France Nature Environnement)
Notre expert sur ce dossier : Jacques Pulou, pilote du Réseau Eau et Milieux aquatiques – 06 72 03 95 35 – mail
Publié par FNE Auvergne Rhône Alpes
Le Jeudi 13 avril 2023
https://www.fne-aura.org/nos-avis/region/centrale-hydroelectrique-sur-la-sallanche/
Partager